Participation à un concours organisé par la société d'auto-édition LIBRINOVA et le magazine LIRE.
Thème : " Le bonheur est un piège dans lequel je suis plusieurs fois tombée"
Nombre de participants : 330
Résultats : courant juin...
CHAPITRE I : LA VIE EN ROSE
- Affaire Boîte
à Bonheur à la barre.
Eh bien voilà, on y est, c’est le
jour de mon procès ou plus exactement, celui de ma société La Boîte à Bonheur, accusée d’escroquerie et de détournement
de pensées. Autant dire que je risque gros et que je ne baigne pas particulièrement
dans le bonheur. Mais avant de vous expliquer le pourquoi du comment de cette
situation, laissez-moi me présenter, histoire de vous donner quelques éléments
de contexte qui vous permettront à vous aussi très chers lecteurs, de juger
de ma culpabilité.
Je m’appelle Rose et j’ai vingt-cinq
ans. Oui je sais, moi aussi ça m’a fait bizarre mais j’ai fini par accepter ce
prénom qui a doublement fait chavirer Leonardo DiCaprio dans le film culte de
la fin des années quatre-vingt-dix, Titanic.
Mes parents étaient persuadés qu’en m’appelant ainsi, je serais une meilleure
candidate au bonheur et que je verrais la vie en rose... Difficile de leur en
vouloir.
Je dois avouer que, de mon
enfance, je ne garde que des souvenirs heureux d’une vie paisible et
harmonieuse dans une coquette maison de province délicatement posée sur son
terrain arboré. Certes à la naissance de ma sœur Cerise, ce bonheur a bien
failli voler en éclats. A mon grand regret, Je n’étais plus l’unique centre
d’intérêt de mes parents, pour lesquels l’arrivée de ce deuxième enfant
relevait du miracle, une cerise sur le
gâteau… J’ai rapidement pris conscience que malgré nos cinq années d’écart,
nous pourrions réciproquement nous éviter de sombrer dans le piège de l’ennui. C’est
donc dans un cocon bien doré que ma sœur et moi avons grandi paisiblement auprès
de nos parents doués pour la bonne humeur : mon père Charles créateur et directeur
de la société d’ameublement TOUTENBOIS travaillait dur mais ne se plaignait
jamais et nous consacrait tous ses week-ends. Ma mère Caroline partageait joyeusement
son temps entre la tenue de notre maison, notre éducation et une cuisine
d’exception.
Mes études terminées je n’avais
qu’une obsession, celle de créer ma boîte, à l’image de Papa. Elevée au bon
grain du bonheur, c’est donc tout naturellement
que l’idée m’est venue : donner la possibilité à tout un chacun de
pouvoir l’approcher.
A bien y réfléchir, le bonheur est un piège
dans lequel je suis plusieurs fois tombée. Un piège parce qu’à l’image d’un biscuit
Granola, si vous en mangez un, vous
êtes foutus, vous en prendrez un second. Pour le bonheur, c’est la même
chose : quand on y a goûté, impossible de s’en passer. Mais alors, si le
bonheur était un produit de consommation addictif, ce serait le jackpot
assuré ! Et c’est ainsi que naquit tout naturellement, le concept de La Boîte à Bonheur.
CHAPITRE II : COMMENT CA
MARCHE ?
Je sais ce que vous vous dites :
- Mais enfin, c’est impossible ! Le bonheur
c’est subjectif ; on ne peut pas le réduire à la définition d’un bien de
consommation courante comme une boîte de
vache qui rit !
Vous avez entièrement raison et
c’est d’ailleurs pour cela que mon idée n’était pas de vendre du bonheur mais
juste la possibilité d’y accéder. Laissez-moi vous expliquer : je suis
partie du principe qu’il existait plusieurs typologies de bonheur et j’en ai
sélectionné trois pour démarrer ma société :
- le bonheur de savourer chaque instant, d’être à
l’écoute et ouvert à toutes ces petites choses qui au cours d’une journée,
peuvent faire du bien au moral : un ciel qui retrouve enfin des couleurs après
une période blafarde interminable, un café en terrasse à regarder les acteurs
de la pièce de théâtre de la Vie, une odeur de printemps qui se dégage de
l’herbe fraîchement tondue etc...
Voici donc mon
forfait LES PETITS BONHEURS, mon produit phare, l’un des moins chers,
accessible à toutes les bourses, moyennant un engagement de minimum trois mois
en vue d’assurer sa rentabilité.
- Pour mon second type de bonheur, j’ai choisi
celui d’être tellement captivé par une activité que le reste est intégralement occulté ;
pas de pensées parasites qui viennent
polluer votre moment de bien-être quel qu’il soit, du style : faut que je pense à racheter des
biscottes, ou encore ai-je bien fermé
la porte à clef ? Je l’ai nommé le forfait BULLE DE BONHEUR, ou cette aptitude
à rester dans son cocon de plénitude.
- Et enfin pour terminer, mon forfait ENSEMBLE
C’EST TOUT, le bonheur de vivre des relations qui font du bien, qu’elles soient
professionnelles, amicales, familiales ou autres, de s’épanouir au contact de
son entourage et de transmettre son énergie positive ; une contagion
bénéfique.
Mais me direz-vous, ça peut être
un peu des trois. Affirmatif, d’où mon quatrième produit LE BONHEUR SUR MESURE,
donnant la possibilité au consommateur de se concocter sa propre version du bonheur,
le ALL INCLUSIVE. Inutile de vous préciser qu’au niveau tarif, on ne joue pas
dans la même cour ; c’est un peu comme passer des œufs de lompe au caviar.
Alors du coup, non seulement ce forfait est sans engagement au niveau de la
durée mais il existe également en formule prépayée avec un nombre limité d’unités de bonheur.
Une fois ces quatre produits
définis, j’ai élaboré un questionnaire de personnalité permettant de mesurer
pour chaque client son taux de réceptivité au bonheur sur une échelle allant de
un à dix. Ensuite grâce à une programmation informatique, je suis en capacité
de sortir le forfait le mieux adapté au client. Une fois l’accord obtenu, la
technologie prend le relais avec la conception d’une puce électronique adaptée
à la personne et au forfait sélectionné, options comprises. Il suffit alors au
client de s’équiper de la puce intégrée à un pendentif en forme de goutte d’eau
pour les femmes ou d’un simple bracelet chic et discret pour les hommes. C’est
là que la définition de l’expression porte-bonheur
prend tout son sens n’est-il pas ? A la reconnaissance de l’épiderme, la
puce déroule son programme de bonheur en lançant des impulsions au cerveau pour
rendre son propriétaire réceptif aux petits bonheurs du quotidien, ou pour
exterminer tous les parasites qui empêchent de vivre à cent pour cent, un
moment agréable. Et pour le forfait ENSEMBLE C’EST TOUT, la puce émet des ondes
prononcées d’empathie, de joie de vivre, au contact de l’entourage du client
considéré alors, comme attractif, sympathique et solaire.
Mais attention, avoir accès au
bonheur made by Rose, nécessite cependant
plusieurs conditions d’utilisation :
- Etre majeur : comme l’alcool ou les
cigarettes, on ne plaisante pas avec la vente de l’accès au bonheur. Pas
question de déclencher une addiction sur un enfant lui-même à son insu provocateur
de sérénité. Avant la majorité, la notion du bonheur est encore trop compliquée
pour qu’un enfant puisse l’apprécier à sa juste valeur ; il le vit souvent
inconsciemment. Et je ne parle pas des adolescents pour qui la perception du
bonheur peut parfois présenter d’inquiétantes incohérences.
- Deuxième condition : ne pas être sous
l’emprise de médicaments de la famille des neuroleptiques qui pourraient non seulement
fausser le calcul du taux de réceptivité au bonheur pendant le diagnostic mais
également créer des interférences avec les ondes produites par les puces
électroniques.
- Enfin dernier point, la personne qui démarche La Boîte à Bonheur, est celle qui sera détentrice
du porte-bonheur. La perception du
bonheur relève de l’intimité d’un individu. Vous ne prêtez pas votre brosse à
dents je suppose ? Eh bien là c’est pareil, ce porte-bonheur est calqué
sur votre caractère, c’est une partie de vous.
Voilà, vous savez à peu près tout
sur la nature et le fonctionnement de La
Boîte à Bonheur qui connut un démarrage sur les chapeaux de roues.
CHAPITRE III : QUELQUES GOUTTES DE
BONHEUR SUFFISENT
Avec la prolifération des réseaux sociaux, je n’eus aucune difficulté
à me faire connaître. Il faut dire qu’au niveau stratégie marketing, j’avais
mis le paquet : des slogans un
tantinet ringards mais qui se sont révélés somme toute efficaces :
- Vous aussi
vous avez le droit au bonheur.
- Quelques
gouttes de bonheur suffisent pour changer votre vie.
- Le
bonheur, c’est simple comme un coup de pouce.
Et puis je mis en place une offre
promotionnelle de démarrage séduisante : un mois gratuit offert. Rien de bien original niveau créativité
mais le produit d’appel était suffisamment attractif pour susciter le niveau de
curiosité attendu et déclencher le clic de la souris qui me permettait derrière,
de lancer l’offensive commerciale : mails publicitaires, appels
téléphoniques, proposition de rencontre pour diagnostic gratuit de réceptivité
au bonheur, et devis séduisant.
Les premiers rendez-vous eurent
lieu dans l’appartement que je partageais avec plusieurs colocataires. Une
chambre restée vide me servait de bureau pour recevoir mes clients et non
mes patients comme l’avait sous-entendu ma première abonnée, lors de sa visite.
Elle s’appelait Madame Sad. Avec un nom prémonitoire pareil, difficile de
l’oublier.
- Madame Sad, je vous en prie entrez.
- Bonjour Docteur, merci de me recevoir aussi
vite.
Au départ, je crus à une erreur de
palier, l’appartement d’en face étant un cabinet médical de gynécologie.
- Vous devez faire erreur, les consultations c’est
la porte derrière vous.
- Vous n’êtes pas le Docteur Rose Avril ?
Vous ne guérissez pas du malheur par un traitement sur mesure à base d’injection
de bien-être ?
- Alors oui vous êtes bien à La Boîte à Bonheur mais je ne suis pas médecin. Entrez je vais vous
expliquer tout ça.
Et c’est ainsi que je procédai à mon premier diagnostic de réceptivité
au bonheur. Les questions posées portaient sur le comportement humain face à
des situations très simples de la vie courante du style : Comment réagissez-vous devant un coucher de
soleil sur la mer ? (Plusieurs réponses
possibles)
a) vous êtes ému
b) vous vous arrêtez pour
savourer l’instant
c) ça ne vous fait ni chaud ni
froid
d) vous avez autre chose à faire
que de vous extasier devant un ballon orange
e) autre
Une fois les réponses données, un
algorithme sortait une note sur dix. En dessous de trois, le client potentiel
était considéré comme candidat aux dépressions. Si telle avait été la note de
Madame Sad, je n’aurais pas poursuivi l’entretien et lui aurais indiqué que mes
solutions n’étaient pas adaptées à son profil. Mais Madame Sad avait obtenu un cinq,
ce qui n’était pas si mal. C’était une femme d’une quarantaine d’années,
célibataire, accaparée par son travail et dont la cote de popularité avoisinait
le néant, du fait d’un comportement involontairement froid et distant.
- Ok Madame Sad, j’ai la solution. Je vous propose
de partir sur un forfait LES PETITS BONHEURS pour vous mettre du baume au cœur
au quotidien. Il vous faut retrouver le goût des choses simples et vous aider
ainsi à décrocher de votre activité professionnelle. Je vous rajoute
gratuitement l’option international ENSEMBLE C’EST TOUT sous forme de dix
unités.
- Excusez-moi mais je ne comprends pas.
- Vous aurez la possibilité d’adoucir votre image
auprès de maximum dix personnes de votre entourage où que vous soyez et de
dégager des ondes de sympathie autour de
vous. Etant donné que vous voyagez beaucoup, je préfère vous mettre
d’emblée l’international. Attention si les unités ne sont pas utilisées durant
le mois, elles seront perdues ; chaque mois vous repartez sur un crédit de
dix. Et bien sûr, vous pouvez arrêter cette option quand bon vous semble.
J’expliquai
également à ma cliente l’étape de la conception de la puce paramétrée en
fonction du choix de forfait et lui
rappelai l’obligation du port du pendentif, ce dernier réagissant au contact de
la peau.
- Et si je me le fais voler ?
- Prenez l’assurance zénitude, notre option sécurité qui vous permettra de le retrouver
grâce à une géolocalisation contenue dans la puce. En cas de vol, la puce se
désactive automatiquement au contact d’un autre épiderme que le vôtre et nous envoie un message d’alerte. Un kit
complet vous sera relivré dans un délai d’une semaine. Alors qu’en pensez-vous,
on part là-dessus ?
Et c’est ainsi que je signai mon premier contrat.
Le bouche à oreille fut fulgurant
et les ventes exponentielles me permirent d’ouvrir une première boutique, le
bonheur au coin de la rue... J’engageais rapidement deux personnes pour faire
face à la demande croissante. Mon équipe et moi-même travaillions sans relâche mais
partagions la même passion, celle de contribuer à rendre les gens plus heureux.
Les ennuis démarrèrent quand
victime de mon succès, pour faire face à
un afflux de commandes et en vue de respecter mes engagements de livraison, je
décidai de sauter l’étape de vérification des paramétrages d’un lot de puces.
S’en suivit un nombre important de réclamations et d’avis négatifs sur Tripadvisor Boutiques.
Je pensai naïvement que la
solution du remboursement intégral mettrait fin à l’amorce des polémiques, d’autant
plus que les répercussions n’avaient pas été graves, juste un dysfonctionnement
qui empêchait les puces de délivrer leurs ondes.
Mais un groupe de trois personnes
manifestement allergiques au bonheur, profitèrent de l’évènement pour porter l’affaire en justice.
CHAPITRE IV : CAVEAT EMPTOR (Que
l’acheteur soit vigilant)
Pour rien au monde je n’aurais manqué mon procès même si la
possibilité m’avait été donnée de me faire représenter par mon avocat Maitre
Belaventure. J’avais été informée que mes trois accusateurs seraient présents
et le face-à-face ne me faisait pas peur, bien au contraire.
A mon arrivée, Maitre Belaventure, me fit part de ses inquiétudes envers
la Présidente en charge de l’instruction de mon dossier. Sa réputation
d’arbitre intransigeante et glaciale faisait froid dans le dos…
Madame de Zespoir accompagnée de son avocat, Maitre Maleur, fut la
première à témoigner :
- Madame de Zespoir, il y a quelques semaines,
vous avez fait appel aux services de la société La Boîte à Bonheur. Comment s’est passée votre rencontre avec sa Directrice,
Madame Rose Avril ?
- J’ai tout de suite eu des doutes sur sa bonne
foi parce qu’après son soit disant questionnaire, elle me proposait le forfait ALL
INCLUSIVE ; tout ça parce que ma note était de quatre sur dix et que
j’avais soi-disant besoin d’un sérieux coup de pouce en matière de bonheur. Ben
je peux vous dire que des moments de bonheur, j’en ai connu zéro depuis que je
porte ce collier ; c’est juste une arnaque ce machin.
- Je vous remercie Madame de Zespoir. Ce sera tout
pour moi.
- La parole est à la défense
- Madame de Zespoir, avez-vous déjà acheté un steak
dont la date de péremption est dépassée ? Demanda mon avocat.
- Ah certainement pas !
- Et pourquoi donc ?
- C’est tout simplement imbouffable et dangereux ;
j’ai pas envie d’être malade moi.
- Imbouffable
et dangereux, ce sont vos mots. A quel moment avez-vous porté votre pendentif
pour la première fois ?
- Je dirais deux ou trois semaines après l’avoir
acheté.
- Dois-je vous rappeler que le port du pendentif
doit s’effectuer dans les sept jours qui
suivent sa réception ? Comme l’indiquent les conditions générales de
vente, le dépassement de la date limite de contact avec la peau, la DLCP, ne
garantit pas l’efficacité du matériel. Avez-vous vérifié la DLCP Madame de
Zespoir ?
- Heu à vrai dire non.
- Les archives informatiques ont révélé que la
première connexion avec votre épiderme s’est faite deux semaines au-delà de
cette date. J’en ai terminé Madame la Présidente.
La deuxième
plaignante, Madame Prosake avait fait l’acquisition d’un forfait ENSEMBLE C’EST
TOUT. Elle me reprochait d’avoir été à l’origine d’un comportement irrationnel
envers sa hiérarchie : lors d’un comité de direction, elle avait fait
irruption dans la salle du conseil, s’était approchée du PDG et l’avait voracement
embrassé sur la bouche, sans que ce dernier eu le temps de dire ouf ou plutôt stop, sous les yeux abasourdis des actionnaires.
Maitre Belaventure
ne mit que très peu de temps à lui faire avouer que lors de l’achat du forfait,
elle avait refusé de se prêter au jeu du questionnaire de réceptivité, ce qui
aurait sans aucun doute permis de déceler une allergie au bonheur, tant son
état psychologique transpirait la dépression. Elle était sous traitement
médical, condition rédhibitoire à l’utilisation du pendentif. Les effets
secondaires du port du pendentif cumulés à l’absorption de psychotropes, n’étaient
que partiellement maîtrisés et sous l’entière responsabilité du propriétaire,
comme le stipulait également la notice d’utilisation.
Puis ce fut le
tour de Monsieur Paraice d’apporter son témoignage. Equipé du forfait BULLE DE
BONHEUR, il accusait La Boîte à Bonheur
de détournement de pensées. Les
conséquences avaient été selon ses propos, désastreuses.
- Trois ans Madame la Présidente que je suis au
chômage et que je vis au crochet d’Irène ma moitié. Il y a un mois, une société
m’a contacté pour me faire passer un entretien, le premier depuis deux ans.
Alors pour fêter ça, je me suis offert un petit cadeau ; je me suis dit
qu’il fallait que j’aborde cet entretien le plus sereinement possible. J’ai
donc acheté un pack BULLE DE BONHEUR.
- Au fait Monsieur Paraice, venez-en au fait.
C’était la première fois depuis le début de l’instruction que la
Présidente s’exprimait et sa gestuelle comme la tonalité de sa voix, traduisaient
nettement des signes d’exaspération.
- Le jour de mon entretien, avant de m’y rendre, j’ai
décidé de prendre un bain, histoire de me délasser. Ah ça pour être dans ma bulle
de bonheur, j’y étais Madame la Présidente ; à tel point que je n’ai pas
vu le temps filer. Perdu dans mes pensées, j’ai fini par m’endormir. C’est la
température de l’eau qui m’a réveillé. Je vous laisse imaginer la suite.
- Non je vous en prie ; j’aimerai l’entendre
de vous-même.
L’exaspération avait laissé la place à l’ironie.
- Bah j’étais convoqué à onze heures et il était
midi. Alors bien sûr je les ai contactés, je leur ai expliqué que c’était à
cause du forfait des bulles et que du coup je m’étais assoupi dans mon bain.
Ils ont rien voulu savoir, vous vous rendez-compte et ils m’ont même averti que
toute nouvelle candidature de ma part serait automatiquement rejetée. Tout ça à
cause de ce foutu forfait qui m’a volé mon cerveau.
- Bien, je pense que la plaisanterie a assez duré.
Monsieur Paraice, votre cerveau n’a jamais été dérobé comme vous le
sous-entendez. Posez-vous déjà la question de savoir si vous en avez un. Votre
attitude est irresponsable : vous avez fait preuve d’égoïsme ; vous
avez voulu faire passer VOTRE bonheur avant tout. Mais ce n’est pas comme cela
que ça marche Monsieur Paraice ; le bonheur ça se mérite, le bonheur ça se
construit.
- Maître Belaventure et Maître Maleur,
puisque nous en avons terminé avec les plaignants, je vous propose que nous
entendions Madame Avril ; il est grand temps de mettre fin à cette
mascarade !
J’abordai mon récit de manière
plutôt sereine ; aucun des témoignages n’avait été convaincant. Mais comme
me l’avait rappelé mon avocat, il fallait rester sur ses gardes, les réactions
de la Présidente étant parfois totalement imprévisibles.C’est donc avec humilité que je déroulais
mon histoire sur la création de La Boîte
à Bonheur, tout en reconnaissant pleinement ma faute d’avoir sauté l’étape
de vérification de la conformité des puces. J’expliquai à la Présidente que
depuis l’incident, j’avais investi pour l’obtention du label ECO SERENITE et que par conséquent, de
tels évènements ne pourraient à l’avenir se reproduire.
A mon grand soulagement aucune
charge ne fut retenue contre moi. Selon la Présidente, les motifs d’accusation d’arnaque et de détournement de pensées n’avaient pas lieu d’être. Elle alla
même jusqu’à avertir Maître Maleur que nous étions à la limite d’un cas de
saisie abusive de la justice.
A la sortie du tribunal, je
tombais nez à nez avec elle en tenue de ville, ce qui la rendait moins austère.
Au-delà du sourire chaleureux qu’elle m’adressa, quelque chose d’autre attira
mon attention, sans que je puisse identifier sur l’instant ce dont il
s’agissait. Ce fut le soir, en me refaisant le film de la scène que je
compris : sous son manteau entrouvert, elle portait un très joli pendentif…
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