lundi 18 mars 2024

Le marché thérapie



En cette période grisâtre et chaleureusement humide, qui incite la morosité à prendre ses aises dans nos états d’esprits pluvieux, permettez-moi de vous confier un remède efficace, pour reprendre de la vitamine de bonne humeur. C’est aussi simple qu’un marché du dimanche mais le vrai, c'est-à-dire celui qui est couvert et qui, lorsque l’on pénètre dans ses halles, nous happe littéralement, à grands renfort d’étalages colorés, d’odeurs puissantes de poulets virevoltants sur leurs broches et d’un discret brouhaha. Dans cet espace abrité, ça fourmille gentiment de personnes qui savourent le milieu de leur week-end, avec la perspective d’un après-midi de détente.

C’est un endroit de rencontres fortuites où l’on s’arrête sans complexe en plein milieu d’une allée, pour entamer une conversation et se mettre à la page des toutes dernières nouvelles. Ici, l’agitation est conviviale, le stress et la mauvaise humeur sont absents des étales. Les commerçants courageusement levés depuis des heures, enchaînent les prises de commandes en nous transmettant leurs kilos d'entrain, leurs litres de sourires et la passion pour leurs produits. L’attente pour être servi fait partie du jeu et nous offre le luxe de prendre enfin le temps, celui de ressentir la vie qui nous entoure : nos yeux rechargent leurs batteries de couleurs devant les étalages de fruits et légumes, tandis que nos oreilles captent les conseils de cuisson du rôti, donnés par le boucher au client devant nous. De ses gestes appliqués et respectueux envers sa viande, il coupe cette entrecôte et recouvre de son imposante main, la totalité du morceau pour mieux ôter avec l’autre, le surplus de gras malvenu. On aimerait pour nos cuisines, disposer des mêmes couteaux qui hypnotisent nos regards quand ils viennent trancher si facilement la chair mais on oublie que tout réside dans le professionnalisme de celui qui les utilise. Même ressenti côté poisson où lever des filets, retirer la peau de la sole, trancher finement le saumon s’apparente à des gestes quasi chirurgicaux, avec la satisfaction du travail bien fait qui se lit sur le visage du poissonnier de père en fils.

L’heure du déjeuner approche et le passage chez le crémier est la garantie de pouvoir goûter un ou deux fromages à la coupe. Ici, on admire le commerçant qui y va de tout son poids pour trancher un morceau de comté fruité 18 mois, avec son étrange couteau à double manche et sa lame large comme une scie. Et quand on lui demande de nous en dire un peu plus sur son Saint-Nectaire exposé, il s’en empare, nous le montre de plus près en appuyant délicatement dessus pour mettre en avant son côté moelleux crémeux. Comme si ce n’était pas suffisant pour nous convaincre, il n’hésite pas à nous le faire goûter pour la plus grande joie de nos papilles stimulées. 


Inévitablement, nous repartons du marché avec un fromage imprévu, trois barquettes de myrtilles pour le prix d’une, une botte de ciboulette offerte et quatre nems cadeaux que le traiteur rajoute pour nous remercier de notre sourire. 

Alors oui, on a dépassé le panier moyen mais au profit d'un stock de gaité, de gentillesse, d’échanges directs en toute simplicité avec des gens vrais, courageux qui ne se prennent pas le chou et n'ont même pas conscience du pouvoir qu'ils détiennent, celui de nous redonner la pêche...

Bienvenue au marché thérapie. 

jeudi 22 février 2024

Le murmure de la mûre




Pour fêter mon âge mûr, une amie m’a récemment offert un pot de confiture de mûres "FAIT MAISON" ; elle se souvenait qu’il s’agissait pour moi d’une incontestable madeleine de Proust. Il faut dire qu’en termes de souvenirs, c’est fou ce que la mûre me murmure… 


A n’en pas douter, c’est un fruit qui laisse des traces, comme des tâches de Rorschach d’un violet aquarelle, sur le menton et les joues des enfants mais aussi parfois des plus grands.

Faire de la confiture de mûres, c’est comme capturer dans un bocal un morceau de la fin des vacances d’été et des derniers moments passés dehors, entre cousins, dans des lieux privilégiés comme l’ile d’YEU pour ne pas la nommer. C’est à cette période que les cueillettes sont les plus fructueuses et que ces petites baies sauvages revêtent des allures de caviar : noires avec des reflets parfois bleu en fonction de la lumière, elles envahissent pour notre plus grand bonheur gourmand, le bord des routes, des chemins et même parfois les champs. Encore faut-il connaître les coins ; à l’instar des champignons, les localisations ne se dévoilent que sous une mûre torture, comme celle de menacer de renverser dans le fossé, le seau de plage contenant ce bel or noir. 


Qui n’a jamais entendu cette phrase prononcée par des parents lassés : "Allez-donc nous chercher des mûres !". L’activité de la cueillette de mûres n’est pas forcément innée chez les enfants. Elle est souvent lourdement suggérée par les parents qui y perçoivent un double intérêt : celui de ne plus avoir dans les pattes leurs enfants qui par temps gris, ne savent pas s’occuper ; et le second, de récupérer une matière première de choix, pour préparer le dessert du soir comme une tarte, une glace ou même envisager la production de confitures, en cas de récolte miraculeuse. 

Et nous voilà partis avec nos seaux de plage contenant dans le fond, le reste de la tour du château de sable d’hier. Certains ont préféré se munir de sacs plastiques de supermarché ; sans doute des débutants qui n’ont jamais été confrontés à l’écrasement inévitable des mûres malmenées dans ce type de réceptacle. Ils ne reproduiront pas deux fois cette erreur…

Au démarrage, on y va tous un peu à reculons ; et puis, il suffit de tomber sur une concentration de baies noires pour que la compétition s’installe. Qui de nous aura la meilleure récolte ?

Les plus belles mûres sont systématiquement inaccessibles et nous oblige à nous pencher dangereusement, quitte à basculer dans un bain de ronces impitoyables. Dans tous les cas de figure, une cueillette ne peut se dérouler sans une égratignure qui vient tatouer nos jambes, ni la présence de jus écrasé sur nos tee-shirts forcément blancs ce jour-là. L’art de la cueillette repose dans le choix visuel d’une mûre charnue qui sera suffisamment ferme mais pas trop, pour résister à la pression raisonnable du pouce et de l’index afin de la détacher de sa base. Inévitablement malgré toute la délicatesse engagée, elle colorera nos doigts. Parfois, elle subira la déviation vers notre bouche au lieu de rejoindre ses congénères dans le seau. La tentation est trop forte pour ne pas succomber. Difficile de comptabiliser le nombre de mûres que nous aurons savourées en circuit plus que court mais notre bouche, notre langue et nos dents noires trahiront notre faiblesse. Comment résister à cette forme ovoïde harmonieuse, ces petites boules collées les unes aux autres et ce goût délicieusement sucracidulé. Alors oui, parfois, il nous arrive de tomber sur un mauvais numéro dont le goût pourrait s’apparenter à celui de fourmis écrasées et qui nous fait recracher le fruit sans aucune forme de retenue. Et puis régulièrement, une graine trouve le moyen de s’encastrer dans une molaire comme un Lego et l’on aura un mal fou à la retirer élégamment ; ce sont les risques de la mûre que malgré tout, nous acceptons de prendre. 


Ainsi va le murmure de la mûre déclenché en dégustant quelques cuillerées de cette confiture millésime 2023. Difficile d’être raisonnable, le pot va y passer pour prolonger ces souvenirs d’enfance et d’été mélangés. Il y a tant de chose à raconter et les mûres en sont les premières témoins. Et comme les mûres ont des oreilles, ce n’est pas près de s’arrêter.

samedi 17 février 2024

Et l'Amour dans tout ça ?

 

Photo d'emballage Picard 😅

J'ai récemment été sollicitée par le Huffpost pour contribuer à un article portant sur les différences dans la façon de chercher et de rencontrer des partenaires quand on est jeune et plus tard dans la vie. L'article mis en ligne sur le site du Huffpost est donc une compilation des témoignages de personnes entre la vingtaine et la cinquantaine. Ma proposition ayant été quelque peu raccourcie et modifiée à mon grand regret (mais c'est sans doute le jeu ma pauv' Lucette),  je vous livre ci-dessous le texte original....

Je suis d’une génération nourrie dans sa jeunesse de séries, films et dessins animés tous plus fleur bleue les uns que les autres : que ce soit Au Pays de Candy où "elle rêve et elle imagine que le petit Prince de collines vient lui parler doucement", ou au sein de La Petite Maison dans la prairie, dans laquelle rien ne semble ébranler l'adoration réciproque que se vouent les époux Ingalls, je voulais moi aussi tomber sur LE Grand Amour, comme Bridget Jones le relatait dans son journal.

Il y a trente ans, les études, les soirées associées, les frères de nos meilleures amies, les groupes d’amis des vacances estivales, constituaient un véritable vivier de rencontres potentielles. Trop timide, j’avais souvent une bonne amie pour faire passer le message à l’heureux élu de mon cœur. Je rêvais de romantisme et m’enflammais quand je recevais (par la Poste !) des lettres d’amour remplies de citations de Gérard de Nerval. Je m’empressais d’y répondre en évitant la phrase que beaucoup plus jeune j'inscrivais sur le dos de l'enveloppe : "Petit facteur presse le pas car l’amour n’attend pas". Les premiers émoticônes de cœur sont nés sur ces enveloppes. On était encore tellement loin de l’aubergine et de la pêche…

J’ai toujours recherché des histoires sérieuses, c’est-à-dire qui durent dans le temps, avec le fantasme du mariage à la clef, la consécration de l’époque… Et c’était sans compter le poids de l’éducation pour trouver LE garçon de  "bonne famille", bref qu’il soit "d'un milieu social respectable". Quelle époque dépassée!… 

Je n’avais qu’un objectif : me marier, avoir des enfants conçus lors d’une belle nuit d’été, un chien, une cheminée et la vie bien rangée qui va avec, auprès d'un beau mari protecteur. Résultat, je me suis retrouvée avec un homme que j’ai surprotégé, le chien a été remplacé par un cochon d’Inde, la cheminée par un chauffage au sol dans un appartement de banlieue, avec un enfant obtenu après multiples tentatives de FIV. 

A 53 ans, divorcée depuis 3 ans, je retourne à la case départ : pas facile de se remettre sur le marché quand on n’est plus toute neuve et que les occasions de rencontres ne sont plus vraiment les mêmes qu’il y a trente ans. "Sors", "Inscris-toi dans une salle de sport", "Tente les sites de rencontre", sont un échantillon des conseils des bonnes copines (en couple) qui ne savent pas trop quoi dire. On m’évoque aussi souvent l’option rencontre au boulot mais si je pouvais éviter de me caser avec un mec auprès de qui je ferais régulièrement la revue de personnel sur l’oreiller, ça m’arrangerait…

Si j’ai envie d’une nouvelle histoire, je ne l’envisage pas de la même manière : hors de question de vivre ensemble 24h/24: je vise "le chacun chez soi" et on se voit pour les bons moments. Je souhaite garder une certaine indépendance que j’ai retrouvée grâce à mon divorce et qui m’épanouit pleinement. 

Je suis inscrite sur des sites (cf post Mythiques rencontres) car je pense qu’il ne faut négliger aucune opportunité même si pour l’instant c’est la bérézina...

Je pense être aujourd’hui plus ouverte sur mes critères de sélection, la maturité sans doute. Je fais selon mes envies et le regard des autres en la matière m’importe moins qu’avant. 

En revanche si à 20 ans, l’idée d’être avec un garçon de 10 ans mon aîné, ne me dérangeait absolument pas, je milite aujourd’hui pour une tranche d’âge supérieure limitée : je ne souhaite pas me reconvertir en auxiliaire de vie. Quant à la tranche inférieure, bizarrement je ne suis pas contre (Cougar sors de ce corps)


Je ne rêve plus de mariage, mais d’une histoire simple, épanouissante qui s’arrêtera quand elle devra s’arrêter.