dimanche 2 mars 2025

Les "bails" relous #2 : le mec qui prend son temps à la caisse



J’aime à croire que l’agacement que je m’apprête à décrire et qui traduit une carence évidente en capital patience, ne touche pas uniquement les femmes sujettes à la (pré)ménopause dont j’ai la joie d’avoir rejoint le clan.  Cette situation se produit forcément le jour où l’on n’a vraiment pas le temps pour ces conneries, parce qu'elle risque de nous mettre en retard sur notre programme à suivre.

Je viens de finir mon plein de courses hebdomadaires dans ce supermarché plein à craquer du samedi et je fais donc la queue devant une des caisses depuis déjà une bonne dizaine de minutes, en espérant ne pas être en retard pour mon rendez-vous booké chez l'esthéticienne depuis des mois. Il ne reste plus qu’une personne devant moi, un homme d’une quarantaine d’années. Son caddie est bien rempli et je me fais la réflexion qu’un homme qui fait les courses, ce n’est pas encore très fréquent. Je suis donc plutôt admirative parce que lorsque que j’étais en couple, la question ne se posait même pas, c’était toujours moi qui m’y collais. 

Et puis le doute s’installe quand il commence à sortir un à un les produits pour les poser sur le tapis roulant de la caisse. Moi perso, je suis plutôt du genre pelleteuse, limite si je pouvais faire basculer le caddie directement sur le tapis, ça m’arrangerait. Alors que lui, non seulement il prend son temps pour les extraire un a un de son chariot mais en plus il les trie : le liquide avec le liquide, les produits d’entretiens ensemble etc… Là tu commences à te dire que ça va être long, très long. Tu as affaire à un psychorigide qui en plus, fait en sorte que les articles soient tous bien alignés les uns avec les autres. Et puis comme si ça ne suffisait pas : 

"Monsieur, vous avez oublié de peser les navets. 

- Ah bon, ça se pèse les navets ?"  

Dis, au lieu de discuter, décide-toi, tu les prends ou pas ? Lancent mes yeux Kalachnikov, ce qui ne sert strictement à rien car le personnage ignore totalement les clients derrière,  sauf quand il poursuit par une blague relou : 

"Quel navet je suis". 

A cet instant précis, pour mesurer son potentiel comique, il observe son auditoire pris en otage, en l’occurence la file qui patiente. Je suis face à lui, la bouche ouverte, je pense à une caméra cachée. Lui part peser tranquillement ses pu…de navets et revient tout aussi calmement 2 ou 3 minutes plus tard. 

Bien sûr pour ranger ses courses une fois scannées par l'hôtesse de caisse, c’est le même scénario : il les saisit un par un délicatement pour les mettre dans des sacs à contenu homogène : les fruits avec les fruits, le salé avec le salé. Ah merde il a fait une erreur, il a mis son pain de mie avec les articles d’hygiène. Je le regarde littéralement fascinée comme Thierry Lhermitte dans "Le Dîner de cons" : j’ai mon champion. II est seul au monde, vit dans la dimension du ralenti.  Il s’apprête à payer donc on est en droit de se dire qu’on approche de la fin du calvaire. Non, il cherche dans ses poches en flirtant*avec la caissière (*terme désuet mais tellement approprié au personnage), sort son portefeuille, tout en continuant sa discussion qui semble prioritaire : 

"C’est fou ce que vous avez comme monde en ce moment, ça doit pas être facile tous les jours". 

Mais barre toi connard !

il saisit une première carte dans son portefeuille, la regarde quelques secondes puis finalement la range pour en choisir une autre. Il indique à la caissière qui sait garder son calme (grand bien lui fasse) qu’il paiera un partie par carte et le reste en monnaie. Je suis subjuguée, parce que bien évidemment, il tarde pour sortir ses centimes qu’il a a du mal à trouver dans son porte monnaie en cuir qui date des années Goldorak. Et puis il s’en va sans un "merci" ni "aurevoir". 

C’est à présent mon tour. La caissière me regarde et me dit :

"C’est fermé vous n’avez pas vu la lumière rouge ? Nan j’déconne". 

lundi 17 février 2025

Lettre à Violette Dorange

 



Chère Violette,


Alors que depuis quelques jours, malgré votre retour sur terre, vous subissez une nouvelle tempête mais celle-ci médiatique, tout s’agite autour de vous ; vous naviguez tout naturellement d’un plateau d’émission à un autre et surfez sur des vagues d’admiration qui parfois vous submergent. Comme pour le Vendée Globe, vous traversez cette première expérience avec une profonde humilité et semblez parfois flotter sur cette déferlante d’engouement qui vous dépasse. 

Invitée sur le plateau de "Quelle époque" avec Léa Salamé, vous faites dire à David Foenkinos cette phrase qui résume l’essentiel : "Je voudrais simplement vous remercier parce que vous nous procurez de l’admiration et ça nous fait du bien. On a besoin de héros et d’héroïnes donc grâce à vous, on se sent mieux aussi." 

A ma façon, je voulais également vous dire merci pour nous avoir partagé ces embruns d’enthousiasme, d’émotion, de détermination mais aussi de passion et de maturité. Vous avez enrichi notre sel de nos vies. 

Si j’étais votre mère je serais plus que fière et si j’étais la mer, je me serais extasiée devant votre comportement exemplaire face aux éléments d’une Nature parfois violente. Malgré la déception et quitte à perdre des places au classement de la course, vous ralentissez votre rythme pour maintenir le cap, celui d’aller au bout d’une aventure rêvée, depuis plusieurs années. 

Votre prénom Violette et Dorange votre nom, une identité propre qui cumule des couleurs d’arc en ciel souvent visibles en haute mer. La couleur d’une fleur qui rappelle la fraîcheur et qui dans ses significations, incluent la modestie. On ne peut qu’acquiescer tant votre discrétion et celle de vos parents vous honorent. Orange comme un soleil dont les rayons du soir, ont à plusieurs reprises fait pétiller votre regard pour le plus grand bonheur de tous vos followers. Confortablement installés dans nos salons chauffés, ou bien dans les transports, nous, "suiveurs" assidus, traquons régulièrement vos dernières vidéos. Elles agissent pour la plupart comme un remède anti-morosité. Malgré la solitude, les galères de réparations, les moments de stress et de fatigue, vous nous partagez votre mental d’acier et votre enthousiasme de tous les instants. Sur nos écrans de téléphone, vos deux billes marrons et votre irrésistible sourire nous font tous chavirer. Vous nous racontez la mer, vos rencontres inoubliables avec les albatros vos compagnons de route, les passages qui vous font rentrer dans l’histoire comme celui du Cap Horn. Vous partagez votre quotidien, vos repas déshydratés qui finissent par vous lasser, la découverte de vos cadeaux et votre coin photos. 


Dans votre salopette de skipper, minuscule point rouge au milieu de l’océan et seule maitre à bord de votre embarcation, votre entourage n’est jamais loin et vous apporte son soutien. Rien ne semble vous arrêter, pas même le moteur cassé. Votre esprit de compétition reste malgré tout intact et vous transforme en guerrière. Après Léon Marchand qui impressionne sous l’eau, vous, la plus jeune navigatrice du Vendée Globe, fascinez sur les eaux. 

Quand vers la fin du tour, d’une voix toute tremblante, vous racontez votre frayeur tout en haut de ce mat, malmenée par des vagues levées, nous mesurons votre courage pour éviter le naufrage. Il est temps de rentrer même si à quelques milles de l’arrivée, vous évoquez déjà la nostalgie de cette aventure unique.


Votre retour aux Sables-d’Olonne est tout aussi spectaculaire : cerné par des dizaines d’embarcations, votre bateau "DeVenir" semble glisser sur les vagues de la victoire et le réglage des voiles traduit l’osmose parfaite vécue pendant ces quelques mois. Sodebo et Mac Do ont tiré le gros lot ; à quand le Mac Dorange ?

Puis vous ralentissez, vous affalez les voiles, votre équipe monte à bord pour vous féliciter et vous laisse savourer votre arrivée grandiose de cette course mythique. Plus de 100 000 personnes ont fait le déplacement et vous acclament sans fin. Vous êtes hallucinée, et l’on lit sur vos lèvres des centaines de "merci". 

Vient le trop bref instant de Papa et Maman : des bras qui se resserrent, des yeux brouillés de joie, quelques mots échangés dans une flot de pudeur pour ne pas voler la vedette au public rassemblé. Nous partageons de loin, l’émotion de votre chère famille et admirons leur accompagnement dans l’accomplissement de vos rêves.


Le Vendée Globe s’achève mais votre détermination pour le projet DeVenir auprès de la Fondation Apprentis d’Auteuil, force aussi le respect. Après cette course en solitaire, vous êtes avant-tout solidaire. Depuis votre arrivée, vous donnez sans compter en toute simplicité, mentionnez votre équipe avec un enthousiasme permanent. Malgré cette soudaine célébrité, pleine de lucidité, vous gardez votre cap, celui de donner un sens humain à ce projet sportif, ce qui fait probablement de vous la première des skippers qui contre toute attente, souhaite avant tout garder les pieds sur terre…


Merci pour cette leçon de vie, de générosité.


Respectueusement.


dimanche 24 novembre 2024

Les « bails » relous #1 : La notice des médicaments




Rangé à l’intérieur contre la paroi de la boite d’emballage ou plié en "U" autour des plaquettes de médicaments, aussi minuscule soit-il, ce petit bout de papier au grammage égoïstement avare, peut nous rendre grossiers voire hystériques. Le processus d’énervement est toujours le même et démarre à l’ouverture de la boite. La notice se trouve forcément à l’opposé de là où l’on a décidé d’ouvrir : une sorte de mauvais karma systématique, malvenu dans un contexte de recherche désespérée d’apaisement de symptômes. La notice est tellement planquée qu’elle n’est pas visible au premier coup d’oeil. C’est fâcheux parce que généralement si on souhaite la consulter, c’est que quel que soit le mal qui nous ronge à cet instant, le niveau de stress n’est pas particulièrement modéré. On a sans doute besoin de vérifier la posologie ou les effets secondaires. Ces effets indésirables, une fois lus et la gélule avalée, on les ressentira bien évidement comme tout spécimen hypocondriaque qui se respecte, même s’ils ne concernent qu’une personne sur 10 000. Mais revenons en à cette notice soigneusement pliée par je l’espère, une machine automatique et non des dizaines d’ouvriers à la chaine taylorienne, chacun responsable d’une des 50 nuances de pliage… 
Une fois le subtil document sorti, le son de ce feuillet qu’on déplie est presque satisfaisant (ASMR kiffance) même si à présent, il est proche du format A3 (j’exagère à peine). Comment peut on mentionner tant d’informations pour un comprimé à peine plus gros qu’une lentille verte ? Au passage, on se prend une nouvelle dose d’énervement de constater que la police d’écriture est réservée à des pilotes de chasse à la parfaite acuité visuelle, critère de sélection qui selon moi, semble être peu représentatif de la tranche d’âge dont je fais partie. Après avoir relu plusieurs fois les informations recherchées et intégré que la dose maximale n’était non pas 8 mais 3 fois par jour (il est vrai qu’en police 0,5, ces deux chiffres se ressemblent inévitablement), il est temps de re ranger dans sa boite ce délicat papier qui pourra peut-être nous servir à nouveau… C’est là que démarre la crise de démence : savoir replier cette feuille A3 en respectant tous les sens. C’était si simple à déplier, on aurait dit un accordéon (d'Yvette - désolée). Faut juste faire l’inverse, où est le problème ? Alors au départ, on est plein de bonne volonté et on essaie, parce qu’on est motivé ; et puis au bout de dix secondes on plie ce p… de bout de papier comme on peut et on l’enfonce de force dans la boite à présent toute gondolée. Sauf qu’on a oublié d’en sortir la plaquette de médicaments mais que si on l’extrait, elle entrainera dans son mouvement celui de la feuille démoniaque… Alors pour se calmer, il faudra peut être se saisir de l'autre boite de médicaments, celle de tranquillisants, en prenant soin de respecter la posologie visible sur la notice…

samedi 9 novembre 2024

L'île d'Yeu à la Toussaint, quel bol (d'air) !





Je reviens de cinq jours de vacances à l’île d’Yeu et l’expression "recharger ses batteries" est l’exact reflet de ce que j’ai ressenti durant cette (trop) courte semaine. 

C’est une période incomparable où les chanceux sur l’ile, ont le privilège de capter les quelques reliquats de l’été dans une ambiance fraîche et apaisée : malgré la présence de derniers vacanciers, Port-Joinville, les différents hameaux comme St Sauveur ou bien Ker Chauvineau, les plages et les chemins, commencent à se délecter d’une tranquillité bien méritée. 

Le port de la Meule est étonnamment vide mais permet d’apprécier la clarté de son eau, au repos, qui ne fait plus de vagues. 

Du côté des Sabias, le Château et les Ours veillent à présent sur une baie vierge de toute embarcation. 

Sur les plages des Vieilles, de Ker Daniau ou bien des Soux, les promeneurs qui l’été, doivent slalomer entre les serviettes pour progresser, s’en donnent à coeur joie comme des chiens à qui l’on vient de retirer la laisse : on marche, on court, on roule, on s’allonge où bon nous semble. L’étendue de sable nous appartient et sa couleur continue de nous surprendre, comme celle des Sables Rouis qui ressemble au bronzage. 

Dans l’eau, à quelques mètres du bord, on admire en frissonnant, cet unique baigneur qui, de retour au bureau, pourra se vanter auprès de ses collègues, de s’être tonifié dans une eau à moins de 15 degrés.

La lande est plus humide et dégage une senteur d’humus mais les queues de lièvres (ou chatons) même courbées et amaigries, nous rappellent que l’été n’est pas si loin. L’herbe vert chlorophylle contraste joliment avec le gris mystérieux du ciel de Toussaint. Au loin sur l’océan mystérieusement calme, on distingue une tâche de lumière déclenchée par le soleil qui joue les projecteurs de scène spectaculaire, pour l’artiste qu’est la mer. Au fond, la croix de la Pointe du Châtelet semble perdue dans un coton de brume. 

Dans les chemins de terre, les flaques plutôt fréquentes, constituent des challenges en vélo qui font davantage rire les enfants que les grands…Les fougères sont en mode automne alors que les ajoncs s’acharnent à conserver quelques rares fleurs jaunes de-ci de-là mais leur parfum d’huile de coco s’est malheureusement évaporé.   

Devant les maisons blanches aux volets souvent fermés, les hortensias semblent lutter pour nous offrir leur derniers soubresauts de couleurs framboise ou bleu pastel malgré une majorité de pétales vieillissant aux tempes grisonnantes. 

Sur le port, assis à l’Equateur, on se surprend à retirer son blouson pour profiter d’un soleil facétieux qui ne va pas durer. On retrouve ses repères : pour notre grand bonheur gourmand, la camionnette orange de Mousnier stationne sur le petit marché. 

Le snack Martin qui ne désemplit pas, vit ses deniers instants avant sa fermeture annuelle : le personnel comme sa pâte à crêpe légendaire ont besoin de se reposer. Tatie Bichon joue les prolongations pour les vacances scolaires.  

  

Les jours même raccourcis, affichent des jeux d’éclairage hors du commun dans une ambiance délavée. Le soleil n’est plus le même : il a perdu de l’énergie mais sa lumière est plus douce et offre sur la Pointe du But en fin d’après-midi, des spectacles de couleurs époustouflants : la fosse des Broches joue les miroirs pour permettre aux nuages d’interpréter une valse colorée où l’orange, le rose, et le grisé se mélangent harmonieusement. Ce décor féerique ravit petits et grands venus faire naviguer sur ce plan d’eau éphémère, leurs précieuses maquettes de thoniers.

A gauche de la balise des Chiens Perrins, l’horizon de la mer semble partir en feu grâce aux derniers rayons d’un jaune inédit, qui réussissent à percer les remparts des nuages anthracites. Alors que la nuit tombe, les champs se parent d’une couette de brouillard aux ambiances d’Halloween. De retour à vélo, l’humidité de la selle est plus que perceptible ; tout le long du trajet, la fraîcheur des soirées et l’odeur régulière du bois qui brûle dans les cheminées, témoignent de la saison en cours. Les journées sont plus courtes mais c’est l’équilibre parfait entre les sorties qui font rougir nos joues et cette fainéante envie de se caler auprès d’un joli feu qui crépite, avec un cafthé ainsi que son tout nouveau livre en provenance de l’incontournable Maison de La Presse.


Ainsi vont les journées des vacanciers de la Toussaint sur l’île d’Yeu : douces, paisibles où le rythme est donné par celui des sorties au gré de nos envies. On révise ses classiques en se baladant vers la Chapelle de la Meule, au Petit Port des Vieilles ou bien au Vieux Château. Et même si ces endroits n’ont plus aucun secret pour nous, on en prend plein les Yeu(x) : les décors en perpétuel mouvement que constituent la mer, l’éclairage de l’instant et l’aquarelle du ciel, font de ces virées de bol d’air, des moments d’exception ancrés dans nos pensées. 


Merve’YEUsement  vôtre 

dimanche 26 mai 2024

Ode au soleil : "Bouge-toi"



Allez le soleil, c’est bon, vas-y, cette fois reste avec nous.

Tu sais bien qu’on t’attend, nous et les ingrédients. On a sorti les tomates qui dansent la Burrata, les fraises dans leurs barquettes, rêvent qu’on les achète, et le rosé givré veut être débouché.

Cesse cette hésitation ! Tu sais qu’on vénère tes rayons et que sans leurs apparitions, notre moral se morfond. Nos journées sont plombées, on manque de vitalité. On cherche l’énergie, pour retrouver nos amis. On voudrait rire, courir, partir, sous un temps qui respire. On cherche la couleur bleue, celle qui nous émeut. On aime les nuages, tant qu’ils sont de passage. 

Ton absence nous dérange : Les barbecues sont fous et les planchas fadas. Nos pulls et pantalons, sont usés jusqu‘au fond et nos tenues légères trépignent dans les vestiaires.

Arrête de t’faire prier et reste à nos côtés. 


On voudrait t’imiter et enfin rayonner. 


lundi 18 mars 2024

Le marché thérapie



En cette période grisâtre et chaleureusement humide, qui incite la morosité à prendre ses aises dans nos états d’esprits pluvieux, permettez-moi de vous confier un remède efficace, pour reprendre de la vitamine de bonne humeur. C’est aussi simple qu’un marché du dimanche mais le vrai, c'est-à-dire celui qui est couvert et qui, lorsque l’on pénètre dans ses halles, nous happe littéralement, à grands renfort d’étalages colorés, d’odeurs puissantes de poulets virevoltants sur leurs broches et d’un discret brouhaha. Dans cet espace abrité, ça fourmille gentiment de personnes qui savourent le milieu de leur week-end, avec la perspective d’un après-midi de détente.

C’est un endroit de rencontres fortuites où l’on s’arrête sans complexe en plein milieu d’une allée, pour entamer une conversation et se mettre à la page des toutes dernières nouvelles. Ici, l’agitation est conviviale, le stress et la mauvaise humeur sont absents des étales. Les commerçants courageusement levés depuis des heures, enchaînent les prises de commandes en nous transmettant leurs kilos d'entrain, leurs litres de sourires et la passion pour leurs produits. L’attente pour être servi fait partie du jeu et nous offre le luxe de prendre enfin le temps, celui de ressentir la vie qui nous entoure : nos yeux rechargent leurs batteries de couleurs devant les étalages de fruits et légumes, tandis que nos oreilles captent les conseils de cuisson du rôti, donnés par le boucher au client devant nous. De ses gestes appliqués et respectueux envers sa viande, il coupe cette entrecôte et recouvre de son imposante main, la totalité du morceau pour mieux ôter avec l’autre, le surplus de gras malvenu. On aimerait pour nos cuisines, disposer des mêmes couteaux qui hypnotisent nos regards quand ils viennent trancher si facilement la chair mais on oublie que tout réside dans le professionnalisme de celui qui les utilise. Même ressenti côté poisson où lever des filets, retirer la peau de la sole, trancher finement le saumon s’apparente à des gestes quasi chirurgicaux, avec la satisfaction du travail bien fait qui se lit sur le visage du poissonnier de père en fils.

L’heure du déjeuner approche et le passage chez le crémier est la garantie de pouvoir goûter un ou deux fromages à la coupe. Ici, on admire le commerçant qui y va de tout son poids pour trancher un morceau de comté fruité 18 mois, avec son étrange couteau à double manche et sa lame large comme une scie. Et quand on lui demande de nous en dire un peu plus sur son Saint-Nectaire exposé, il s’en empare, nous le montre de plus près en appuyant délicatement dessus pour mettre en avant son côté moelleux crémeux. Comme si ce n’était pas suffisant pour nous convaincre, il n’hésite pas à nous le faire goûter pour la plus grande joie de nos papilles stimulées. 


Inévitablement, nous repartons du marché avec un fromage imprévu, trois barquettes de myrtilles pour le prix d’une, une botte de ciboulette offerte et quatre nems cadeaux que le traiteur rajoute pour nous remercier de notre sourire. 

Alors oui, on a dépassé le panier moyen mais au profit d'un stock de gaité, de gentillesse, d’échanges directs en toute simplicité avec des gens vrais, courageux qui ne se prennent pas le chou et n'ont même pas conscience du pouvoir qu'ils détiennent, celui de nous redonner la pêche...

Bienvenue au marché thérapie. 

jeudi 22 février 2024

Le murmure de la mûre




Pour fêter mon âge mûr, une amie m’a récemment offert un pot de confiture de mûres "FAIT MAISON" ; elle se souvenait qu’il s’agissait pour moi d’une incontestable madeleine de Proust. Il faut dire qu’en termes de souvenirs, c’est fou ce que la mûre me murmure… 


A n’en pas douter, c’est un fruit qui laisse des traces, comme des tâches de Rorschach d’un violet aquarelle, sur le menton et les joues des enfants mais aussi parfois des plus grands.

Faire de la confiture de mûres, c’est comme capturer dans un bocal un morceau de la fin des vacances d’été et des derniers moments passés dehors, entre cousins, dans des lieux privilégiés comme l’ile d’YEU pour ne pas la nommer. C’est à cette période que les cueillettes sont les plus fructueuses et que ces petites baies sauvages revêtent des allures de caviar : noires avec des reflets parfois bleu en fonction de la lumière, elles envahissent pour notre plus grand bonheur gourmand, le bord des routes, des chemins et même parfois les champs. Encore faut-il connaître les coins ; à l’instar des champignons, les localisations ne se dévoilent que sous une mûre torture, comme celle de menacer de renverser dans le fossé, le seau de plage contenant ce bel or noir. 


Qui n’a jamais entendu cette phrase prononcée par des parents lassés : "Allez-donc nous chercher des mûres !". L’activité de la cueillette de mûres n’est pas forcément innée chez les enfants. Elle est souvent lourdement suggérée par les parents qui y perçoivent un double intérêt : celui de ne plus avoir dans les pattes leurs enfants qui par temps gris, ne savent pas s’occuper ; et le second, de récupérer une matière première de choix, pour préparer le dessert du soir comme une tarte, une glace ou même envisager la production de confitures, en cas de récolte miraculeuse. 

Et nous voilà partis avec nos seaux de plage contenant dans le fond, le reste de la tour du château de sable d’hier. Certains ont préféré se munir de sacs plastiques de supermarché ; sans doute des débutants qui n’ont jamais été confrontés à l’écrasement inévitable des mûres malmenées dans ce type de réceptacle. Ils ne reproduiront pas deux fois cette erreur…

Au démarrage, on y va tous un peu à reculons ; et puis, il suffit de tomber sur une concentration de baies noires pour que la compétition s’installe. Qui de nous aura la meilleure récolte ?

Les plus belles mûres sont systématiquement inaccessibles et nous oblige à nous pencher dangereusement, quitte à basculer dans un bain de ronces impitoyables. Dans tous les cas de figure, une cueillette ne peut se dérouler sans une égratignure qui vient tatouer nos jambes, ni la présence de jus écrasé sur nos tee-shirts forcément blancs ce jour-là. L’art de la cueillette repose dans le choix visuel d’une mûre charnue qui sera suffisamment ferme mais pas trop, pour résister à la pression raisonnable du pouce et de l’index afin de la détacher de sa base. Inévitablement malgré toute la délicatesse engagée, elle colorera nos doigts. Parfois, elle subira la déviation vers notre bouche au lieu de rejoindre ses congénères dans le seau. La tentation est trop forte pour ne pas succomber. Difficile de comptabiliser le nombre de mûres que nous aurons savourées en circuit plus que court mais notre bouche, notre langue et nos dents noires trahiront notre faiblesse. Comment résister à cette forme ovoïde harmonieuse, ces petites boules collées les unes aux autres et ce goût délicieusement sucracidulé. Alors oui, parfois, il nous arrive de tomber sur un mauvais numéro dont le goût pourrait s’apparenter à celui de fourmis écrasées et qui nous fait recracher le fruit sans aucune forme de retenue. Et puis régulièrement, une graine trouve le moyen de s’encastrer dans une molaire comme un Lego et l’on aura un mal fou à la retirer élégamment ; ce sont les risques de la mûre que malgré tout, nous acceptons de prendre. 


Ainsi va le murmure de la mûre déclenché en dégustant quelques cuillerées de cette confiture millésime 2023. Difficile d’être raisonnable, le pot va y passer pour prolonger ces souvenirs d’enfance et d’été mélangés. Il y a tant de chose à raconter et les mûres en sont les premières témoins. Et comme les mûres ont des oreilles, ce n’est pas près de s’arrêter.