J’aime à croire que l’agacement que je m’apprête à décrire et qui traduit une carence évidente en capital patience, ne touche pas uniquement les femmes sujettes à la (pré)ménopause dont j’ai la joie d’avoir rejoint le clan. Cette situation se produit forcément le jour où l’on n’a vraiment pas le temps pour ces conneries, parce qu'elle risque de nous mettre en retard sur notre programme à suivre.
Je viens de finir mon plein de courses hebdomadaires dans ce supermarché plein à craquer du samedi et je fais donc la queue devant une des caisses depuis déjà une bonne dizaine de minutes, en espérant ne pas être en retard pour mon rendez-vous booké chez l'esthéticienne depuis des mois. Il ne reste plus qu’une personne devant moi, un homme d’une quarantaine d’années. Son caddie est bien rempli et je me fais la réflexion qu’un homme qui fait les courses, ce n’est pas encore très fréquent. Je suis donc plutôt admirative parce que lorsque que j’étais en couple, la question ne se posait même pas, c’était toujours moi qui m’y collais.
Et puis le doute s’installe quand il commence à sortir un à un les produits pour les poser sur le tapis roulant de la caisse. Moi perso, je suis plutôt du genre pelleteuse, limite si je pouvais faire basculer le caddie directement sur le tapis, ça m’arrangerait. Alors que lui, non seulement il prend son temps pour les extraire un a un de son chariot mais en plus il les trie : le liquide avec le liquide, les produits d’entretiens ensemble etc… Là tu commences à te dire que ça va être long, très long. Tu as affaire à un psychorigide qui en plus, fait en sorte que les articles soient tous bien alignés les uns avec les autres. Et puis comme si ça ne suffisait pas :
"Monsieur, vous avez oublié de peser les navets.
- Ah bon, ça se pèse les navets ?"
Dis, au lieu de discuter, décide-toi, tu les prends ou pas ? Lancent mes yeux Kalachnikov, ce qui ne sert strictement à rien car le personnage ignore totalement les clients derrière, sauf quand il poursuit par une blague relou :
"Quel navet je suis".
A cet instant précis, pour mesurer son potentiel comique, il observe son auditoire pris en otage, en l’occurence la file qui patiente. Je suis face à lui, la bouche ouverte, je pense à une caméra cachée. Lui part peser tranquillement ses pu…de navets et revient tout aussi calmement 2 ou 3 minutes plus tard.
Bien sûr pour ranger ses courses une fois scannées par l'hôtesse de caisse, c’est le même scénario : il les saisit un par un délicatement pour les mettre dans des sacs à contenu homogène : les fruits avec les fruits, le salé avec le salé. Ah merde il a fait une erreur, il a mis son pain de mie avec les articles d’hygiène. Je le regarde littéralement fascinée comme Thierry Lhermitte dans "Le Dîner de cons" : j’ai mon champion. II est seul au monde, vit dans la dimension du ralenti. Il s’apprête à payer donc on est en droit de se dire qu’on approche de la fin du calvaire. Non, il cherche dans ses poches en flirtant*avec la caissière (*terme désuet mais tellement approprié au personnage), sort son portefeuille, tout en continuant sa discussion qui semble prioritaire :
"C’est fou ce que vous avez comme monde en ce moment, ça doit pas être facile tous les jours".
Mais barre toi connard !
il saisit une première carte dans son portefeuille, la regarde quelques secondes puis finalement la range pour en choisir une autre. Il indique à la caissière qui sait garder son calme (grand bien lui fasse) qu’il paiera un partie par carte et le reste en monnaie. Je suis subjuguée, parce que bien évidemment, il tarde pour sortir ses centimes qu’il a a du mal à trouver dans son porte monnaie en cuir qui date des années Goldorak. Et puis il s’en va sans un "merci" ni "aurevoir".
C’est à présent mon tour. La caissière me regarde et me dit :
"C’est fermé vous n’avez pas vu la lumière rouge ? Nan j’déconne".