L’arrivée
au salon de coiffure est toujours un grand moment de solitude. Ne
croyez pas qu’en franchissant la porte du salon, vous allez être
accueilli(e) et pris(e) en charge ; c’est généralement tout le
contraire ; vous faîtes l’objet de plusieurs paires d’yeux
des clients et des coiffeuses qui vous scrutent via les glaces
miroirs ; afin de vous rassurer, vous cherchez du regard votre
coiffeuse attitrée qui sera sans doute la première à vous adresser
un "Bonjour Madame STESER" : ça y est la glace est
rompue (si j'puis dire), les autres coiffeuses sont rassurées de
vous savoir prise en charge, et les clientes habituées du salon,
vous adressent à présent un sourire : ça va, vous êtes une
habituée.
Et
oui, le salon de coiffure est un véritable cercle fermé et s’y
faire sa place nécessite bien une demie douzaine de coupes brushing
ou de couleurs anti gris.
Mais
revenons à votre entrée dans le salon : on vous a salué(e),
souri(e) mais vous êtes toujours laissé(e) à votre sort : c’est
une sorte de règle : la prise en charge de la cliente se fait
au moment du shampoing ; avant vous n’êtes qu’un cheveu
supplémentaire qu’il faudra traiter ; au mieux vous aurez le
droit à un : "Je vous laisse vous installer Madame Tiniace" ;
au pire , à vous de vous imposer en vous débarrassant de votre
manteau et en partant en quête d’une place assise ; le salon
étant toujours bondé, force est de constater que l’unique place
restante est soit le fauteuil à shampoing dont la cuvette vous
empêche de vous adosser complètement, soit le siège à grand-mère à
savoir, à casque chauffant intégré qui vous donne le torticolis.
Qui
dit rendez-vous chez le coiffeur, dit forcément un bon quart d’heure
d’attente qui laisse au client tout le loisir d’observer
l’activité du salon ; et ce n’est pas parce que l’on vous
aura fourgué le dernier Paris Match (généralement il a déjà été
pris d’assaut et vous vous retrouvez avec celui du mois dernier)
que votre attention ne sera altérée par la vie du salon, ses
morceaux de conversations, les déplacement incessants, les entrées,
les sorties …
Tenez
par exemple, assise dans votre fauteuil, alors que vous êtes en
train de lire un article ô combien passionnant sur les frasques de
notre président, un jeune garçon vient de franchir le pas de la
porte. Vous faites à présent partie de ses innombrables paires
d’yeux qui détaillent du cheveux au pied ce nouvel arrivant ;
c’est la première fois qu’il vient, ça se sent tout de suite ;
il est là raide comme un piquet, attendant désespérément que
quelqu’un vienne à son secours. Vous êtes vous-même gênée
pour lui, vous êtes passée par là mais en même temps un tantinet
amusée ; c’est la patronne qui s’y colle et ça n’a pas
l’air de la ravir et ce, pour deux raisons : la première,
c’est un homme ; oui d’accord le salon est mixte mais bon,
l’homme n’est quand même pas le cœur de cible ; la
deuxième c’est qu’il va pas rapporter beaucoup de pognon celui
là ; un bon coup de rasoir et le tour sera joué.
Lui : "Bonjour je viens pour une coupe."
Elle : "Vous aviez rendez-vous ?" Elle sait pertinemment qu’il n’a
pas rendez-vous mais a décidé de le mettre mal à l’aise jusqu’au
bout.
Lui : "Non, c’est ma maman, Madame De Brise Burne qui m’a conseillé de
venir vous voir et qui m’a dit que vous pourriez sans doute me
faire passer entre deux clientes."
Et
là comme par enchantement, le visage "de glace" de la tenancière se
déride et laisse apparaître une sourire digne de Denise FABRE.
Elle : "Oh mais vous devez être Grégoire !! Votre maman nous a
tellement parlé de vous : Josiane, quand tu auras fini avec
Madame Blondace, tu f'ras le shampoing de Monsieur De Brise Burne ;
je m’en occuperais après. Allez vous asseoir, au fond ; on va
s’occuper de vous." Et oui, c’est que Madame De Brise
Burne, ça n’est pas n’importe quelle cliente : c’est une "aficionada" ; vous en connaissez beaucoup des clientes qui
viennent tous les deux jours minimum pour le moindre "épitête" ou racine blanche apparente ?
Et
le reste du personnel dans tout cela, parce qu'il y a toujours les
autres membres :
- Les autres coiffeuses qui font généralement semblant de bien
s'entendre entre elles mais qui s'en collent plein la tronche dès
que l'une ou l'autre est absente : "Non mais t'as vu comment elle a
nettoyé le bac ??!! y a encore plein de teinture , c'est ni fait ni
à faire !!"
- Les
apprenties qui rient bêtement entre elles, sont là par obligation
et ça se voit comme un cheveu dans une soupe, vous mettent de l'eau
dans les oreilles en vous rinçant à l'eau froide et vous massent
le cuir chevelu comme un DJ mixant sur sa platine.
- La
stagiaire un peu godiche qui ne fait que balayer les cheveux.
Et
pourquoi faut-il que la coiffeuse vous parle de tout et de rien
pendant qu'elle vous "coupe"?!!
-"Alors, bientôt
les vacances ?" ou "Et le p'tit dernier ça lui fait
quel âge ? 6 ans ?!!! Rrrrrrrrrrrrrrro ça passe à une vitesse !" (petit
mouvement du poignet rotatif pour souligner son effet) ; sinon il y a
aussi le grand classique du "Allez Madame STESER, je vais
vous faire un peu travailler." Plus rare mais c'est du vécu,
je n'invente RIEN, la coiffeuse qui vous raconte sa vie, ses soucis
ses emmerdes :
-"Depuis que mon frère s'est suicidé, je ne vois plus mes neveux... Oh oui je prends des cachets, c'est quand même moi qui l'ai trouvé...
"...J'ai vendu ma maison bien en de-ça du marché, le lendemain de la vente j'avais une proposition de 50 000 euros plus élevée..."
-"Depuis que mon frère s'est suicidé, je ne vois plus mes neveux... Oh oui je prends des cachets, c'est quand même moi qui l'ai trouvé...
"...J'ai vendu ma maison bien en de-ça du marché, le lendemain de la vente j'avais une proposition de 50 000 euros plus élevée..."
"...A
Noël j'avais super mal au bras ; je pensais avoir une tendinite ;
j'ai fait une embolie pulmonaire..."
"...Quand
mon fils avait six mois, nous étions en voiture avec son père ;
nous avons eu un accident. On venait d'acheter la voiture . Elle
avait un défaut de fabrication mais ils ont dit que ce n'était pas
cela qui avait provoqué l'accident. Mon fils a perdu un oeil ;
depuis il a un oeil de verre et moi je ne vois que ça. De toute
façon dès qu'il y a une couille, elle est pour moi. Je pourrais
écrire un bouquin !"
Moi
: "Ah ça oui vous avez la matière..."
Et
vous, vous êtes là à écouter et vous dire mais au lieu de parler, coupe bordel !!! Parce que quand la coiffeuse parle, dans 90% des cas, elle s'arrête et vous regarde dans la glace ou alors elle
coupe mais pas du tout concentrée et vous vous retrouvez avec une
coupe à la Mireille MATHIEU alors que vous exécrez les franges !!!
Une
solution radicale est de bien faire comprendre dès le départ qu'on
a envie d'être tranquille, donc on se plonge dans un magazine mais
ça, la coiffeuse, elle n'aime pas et elle va tout faire pour vous le
faire remarquer : deux solutions, soit elle se met à fredonner l'air
qui passe en fond musical (et la coiffeuse n'est que très rarement
chanteuse...), soit avec ses deux mains, elle va procéder à un
réajustement de votre tête en relevant ou en baissant votre nuque
de telle manière à ce que vous ne puissiez plus lire ou que vous décidiez
d'abandonner votre lecture tellement votre posture n'est pas
confort...
N'empêche
que j'adore aller chez le coiffeur, me poser et écouter les tranches
de vie des autres clients. Nombreuses sont celles qui se confient,
s'épanchent, demandent des conseils ; c'est un délice pour les
oreilles, ça vide la tête. A croire que certaine prennent leur
coiffeuses pour des psys. Mais quel est donc leur secret
professionnel ? Peut-être celui justement de n'avoir jamais aucun
secret pour leurs clientes ; on est bien loin du principe de
discrétion prôné dans serment d'Hypocrate et plutôt proche du
serment d'hypocrite mais c'est pas grave, on est bien, on pense à
rien, on s'laisse aller ; sans doute un des rares moments de détente
pour les mamans que nous sommes et qui passent leur temps à, comme
qui dirait, se faire des cheveux blancs pour leurs enfants...La boucle
est bouclée.