jeudi 22 février 2024

Le murmure de la mûre




Pour fêter mon âge mûr, une amie m’a récemment offert un pot de confiture de mûres "FAIT MAISON" ; elle se souvenait qu’il s’agissait pour moi d’une incontestable madeleine de Proust. Il faut dire qu’en termes de souvenirs, c’est fou ce que la mûre me murmure… 


A n’en pas douter, c’est un fruit qui laisse des traces, comme des tâches de Rorschach d’un violet aquarelle, sur le menton et les joues des enfants mais aussi parfois des plus grands.

Faire de la confiture de mûres, c’est comme capturer dans un bocal un morceau de la fin des vacances d’été et des derniers moments passés dehors, entre cousins, dans des lieux privilégiés comme l’ile d’YEU pour ne pas la nommer. C’est à cette période que les cueillettes sont les plus fructueuses et que ces petites baies sauvages revêtent des allures de caviar : noires avec des reflets parfois bleu en fonction de la lumière, elles envahissent pour notre plus grand bonheur gourmand, le bord des routes, des chemins et même parfois les champs. Encore faut-il connaître les coins ; à l’instar des champignons, les localisations ne se dévoilent que sous une mûre torture, comme celle de menacer de renverser dans le fossé, le seau de plage contenant ce bel or noir. 


Qui n’a jamais entendu cette phrase prononcée par des parents lassés : "Allez-donc nous chercher des mûres !". L’activité de la cueillette de mûres n’est pas forcément innée chez les enfants. Elle est souvent lourdement suggérée par les parents qui y perçoivent un double intérêt : celui de ne plus avoir dans les pattes leurs enfants qui par temps gris, ne savent pas s’occuper ; et le second, de récupérer une matière première de choix, pour préparer le dessert du soir comme une tarte, une glace ou même envisager la production de confitures, en cas de récolte miraculeuse. 

Et nous voilà partis avec nos seaux de plage contenant dans le fond, le reste de la tour du château de sable d’hier. Certains ont préféré se munir de sacs plastiques de supermarché ; sans doute des débutants qui n’ont jamais été confrontés à l’écrasement inévitable des mûres malmenées dans ce type de réceptacle. Ils ne reproduiront pas deux fois cette erreur…

Au démarrage, on y va tous un peu à reculons ; et puis, il suffit de tomber sur une concentration de baies noires pour que la compétition s’installe. Qui de nous aura la meilleure récolte ?

Les plus belles mûres sont systématiquement inaccessibles et nous oblige à nous pencher dangereusement, quitte à basculer dans un bain de ronces impitoyables. Dans tous les cas de figure, une cueillette ne peut se dérouler sans une égratignure qui vient tatouer nos jambes, ni la présence de jus écrasé sur nos tee-shirts forcément blancs ce jour-là. L’art de la cueillette repose dans le choix visuel d’une mûre charnue qui sera suffisamment ferme mais pas trop, pour résister à la pression raisonnable du pouce et de l’index afin de la détacher de sa base. Inévitablement malgré toute la délicatesse engagée, elle colorera nos doigts. Parfois, elle subira la déviation vers notre bouche au lieu de rejoindre ses congénères dans le seau. La tentation est trop forte pour ne pas succomber. Difficile de comptabiliser le nombre de mûres que nous aurons savourées en circuit plus que court mais notre bouche, notre langue et nos dents noires trahiront notre faiblesse. Comment résister à cette forme ovoïde harmonieuse, ces petites boules collées les unes aux autres et ce goût délicieusement sucracidulé. Alors oui, parfois, il nous arrive de tomber sur un mauvais numéro dont le goût pourrait s’apparenter à celui de fourmis écrasées et qui nous fait recracher le fruit sans aucune forme de retenue. Et puis régulièrement, une graine trouve le moyen de s’encastrer dans une molaire comme un Lego et l’on aura un mal fou à la retirer élégamment ; ce sont les risques de la mûre que malgré tout, nous acceptons de prendre. 


Ainsi va le murmure de la mûre déclenché en dégustant quelques cuillerées de cette confiture millésime 2023. Difficile d’être raisonnable, le pot va y passer pour prolonger ces souvenirs d’enfance et d’été mélangés. Il y a tant de chose à raconter et les mûres en sont les premières témoins. Et comme les mûres ont des oreilles, ce n’est pas près de s’arrêter.

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